Juin 2022

Claude Labeeuw

Discret et Intègre

Claude Labeeuw, COO de Brody, parle avec humilité de ses expériences privées et professionnelles, et de la façon dont il place l'aspect humain et contextuel au centre de son style managérial.

Comment es-tu arrivé chez Brody ?

Il y a 25 ans, l’associé fondateur de Brody, Relly Brody, a débuté la promotion immobilière. J’ai toujours aimé travailler pour des entrepreneurs de premier plan : des grands entrepreneurs qui se développent rapidement et qui, à un moment donné, se rendent compte qu’ils ne peuvent plus tout gérer. C’est ainsi que le second partenaire, Ran Ancho, est entré en scène. Il n’avait aucune expérience dans le secteur de l’immobilier mais avait été CEO dans de grandes entreprises du Fortune 500. C’est lui qui a conseillé Relly Brody d’engager un troisième profil : une personne qui connaît parfaitement le marché, qui a un réseau et qui connaît bien les rouages du métier.

Le hasard fait qu’à cette période, il y a quatre ans maintenant, j’avais pris la décision de quitter le bureau d’architecture B2Ai. C’était une période passionnante mais je voulais laisser le secteur de l’architecture derrière moi et revenir au monde de l’immobilier et de l’investissement. Le hasard a bien fait les choses !

Peux-tu me décrire ta fonction actuelle chez Brody ?

J’ai été recruté en tant que COO et également en tant que Directeur Développement afin de rester impliqué dans les projets de développement.

Lorsque j’ai commencé chez Brody, j’étais encore très impliqué dans les équipes et les projets, toujours dans l’optique de construire la structure d’entreprise que nous avons aujourd’hui. Au cours de ces quatre dernières années, nous avons structuré quatre départements : financier, juridique, sales & marketing et design & build. Ce dernier département était auparavant très technique, là où, aujourd’hui, j’y ai intégré de la conception. Il était important pour moi de faire évoluer la vision purement technique que nous avions des projets, vers une vision plus globale, de développement de projets. C’est la raison pour laquelle j’ai engagé des architectes comme chefs de projet. Les quatre équipes sont aujourd’hui dirigées par des Head Of, membres de l’équipe de direction, qui me permettent de superviser sans avoir à m’impliquer moi-même dans les détails exécutifs et de me concentrer uniquement sur mon rôle de COO. Les deux partners sont très étroitement impliqués dans le volet opérationnel de l’entreprise, de sorte que nous puissions prendre des décisions rapidement.

Ainsi, au cours des quatre dernières années, nous avons développé Brody ensemble pour en faire un groupe disposant de 120.000 m2 d’immobilier de bureaux et d’environ 1.000 unités résidentielles en cours de développement.

Quelle est ta formation ?

Je suis ingénieur civil de formation. J’ai ensuite, à la demande de mon employeur de l’époque, obtenu un MBA. C’était intéressant de faire cette formation à un âge plus avancé, car j’avais déjà expérimenté, à travers mes expériences, tout ce qui était couvert pendant le cours. Cela m’a permis de situer la matière dans un contexte concret et de me spécialiser davantage dans la gestion générale d’un projet.

Quels sont tes points forts dans ton métier ?

Par nature, je ne suis pas quelqu’un qui n’aime que la technique mais ma formation d’ingénieur en stabilité me sert énormément. Elle me permet d’estimer rapidement le coût d’un projet dès sa phase de conception. Peu de personne à la direction générale actuelle ont cette expérience technique spécifique. C’est donc ma valeur ajoutée. De plus, au cours de mon MBA, j’ai pu approfondir la finance, la stratégie, le marketing, les RH, la chaîne d’approvisionnement, etc. J’ai également travaillé comme gestionnaire d’investissement. Je peux donc effectuer des analyses de risque pour des investissements potentiels et, de cette façon, gérer à la fois le produit d’investissement et les attentes de toutes les parties prenantes. En tant que manager, je trouve cette combinaison entre technique et finance très utile.

Je suis fier d’avoir toujours travaillé pendant de longues périodes (en moyenne dix ans par poste) ce qui m’a permis d’avoir un impact sur la structure de l’entreprise et les résultats finaux. Je suis souvent amené à recruter et lorsque je vois un CV avec beaucoup d’expériences de courte durée, cela me met la puce à l’oreille. Il y a peut-être une bonne raison à cela, mais

je pense que l’on ne peut voir le résultat du travail de quelqu’un qu’après une période d’au moins trois ans.

Si tu ne travailles quelque part que depuis un an, tu n’as jamais pu mesurer les résultats de ce qui a été entrepris. Alors que si tu fais une démarche qui aura un impact sur toi-même, tu y réfléchis soigneusement au préalable.

As-tu connu des échecs dans ton parcours et quelles sont les leçons que tu en as tirées ?

Oui, absolument.

Sur le plan professionnel, mon plus gros échec a été la crise financière de 2008. À l’époque, j’étais directeur général d’une petite start-up comptant 15 chefs de projet et une clientèle stable. L’entreprise fonctionnait à 100 % avec un cashflow positif. Mais en raison de la crise, de nombreux clients réguliers ont décidé de tout mettre en attente du jour au lendemain. Entre-temps, un nouvel actionnaire principal était arrivé. Il ne voulait pas apporter de capitaux pour surmonter la crise et est entré en conflit avec les autres actionnaires, ce qui m’a obligé à liquider l’entreprise et à licencier. Cela m’a touché de plein fouet car j’étais très impliqué dans l’équipe. J’ai fais ce qu’il fallait pour que l’entreprise soit prospère, mais l’aspect humain était tout aussi important pour moi. Certains employés n’ont pas compris que la décision prise par les actionnaires devait être appliquée par moi, car c’était mon rôle. Le résultat a été qu’ils se sont retournés contre moi, souvent influencés par leur syndicat… Avec le recul, je suis satisfait de la façon dont cela s’est terminé. Cette expérience m’a rendu plus fort dans l’évaluation des risques financiers et dans la réaction à prendre humainement en situation difficile.

Sur le plan personnel, ma famille a subi un revers majeur il y a huit ans, lorsque l’un de mes trois enfants a été diagnostiqué, à l’âge de 17 ans, d’une maladie chronique ayant des effets limitatifs graves et durables. C’est un lourd fardeau mais cela à rendu nos liens plus forts. Nous restons positifs et sommes heureux dans la vie. Avant le diagnostic, j’étais convaincu qu’il n’y avait aucun problème que je ne pouvais résoudre en travaillant dur, mais j’ai dû accepter. Cela m’a énormément changé en tant que personne, y compris dans mon attitude envers mes collègues de travail. Je suis maintenant beaucoup plus sensible aux vulnérabilités et je réalise qu’il vaut mieux travailler en équipe que tout seul.

Paradoxalement, cette maladie a fait de moi un meilleur manager,

même si, bien sûr, j’aurais préféré ne pas en faire l’expérience.

Quel genre de manager es-tu ?

Je décrirais mon style de management comme un style de management situationnel, ce qui signifie que j’adapte mon style de gestion à la situation ou au contexte que je rencontre. Mes décisions se prennent toujours à la lumière de mon business plan, de ma mission, de ma vision et de mes valeurs. Mais la façon dont j’accompagne les gens et les coach dépend de divers facteurs, tels que l’âge ou l’expérience de l’équipe par exemple. Mon style de management dépend donc de beaucoup de facteurs. Je m’adapte.

Mon expérience m’a permis d’évoluer vers une fonction de people management, notamment pendant ma période chez B2Ai où j’ai suivi de près 140 architectes et ingénieurs en tant que COO.  Je suis quelqu’un d’assertif et surtout très axé sur les résultats. Professionnellement, je décide de la plupart des choses de manière rationnelle. J’utilise des critères de décision mesurables et je vérifie ensuite s’ils correspondent à mon intuition. On attend de moi que je définisse des lignes, que je prenne des décisions et que j’obtienne des résultats. Parfois, cela se passe très bien et parfois je dois faire des ajustements, mais le résultat attendu doit toujours être là à la fin.

De quoi es-tu le plus fier dans ton parcours ?

Quand je fais le point, je pense que je peux regarder la plupart des gens droit dans les yeux. Certains évènements et certaines décisions ont été difficiles, mais je pense que la plupart des gens qui me connaissent me décriraient comme quelqu’un de discret et d’incorruptible.

Je suis très satisfait de la diversité des activités que j’ai réalisées. J’ai toujours tiré une grande satisfaction et appris beaucoup de ces défis.

Pour ton travail chez Brody, tu as fait le choix de quitter ta Flandre occidentale. Comment ça s’est passé ?

Effectivement, Brody est la première entreprise pour qui je travaille qui n’est pas basée en Flandre occidentale. Lorsque j’ai fait ce choix, j’avais 50 ans et j’ai dû me constituer un tout nouveau réseau entre Anvers et Bruxelles. Les premiers mois j’ai été un peu bousculé mais j’ai également fait mon MBA à Anvers à cette époque et cela m’a bien aidé.

As-tu dû faire des sacrifices pour en arriver là ?

Sur le plan privé, cela m’a coûté un peu oui, car je n’ai pas passé autant de temps que je l’aurais voulu avec ma famille et mes amis. J’ai trois enfants adultes, deux fils et une fille, et je serai bientôt grand-père pour la deuxième fois. J’ai donc la chance d’être un jeune grand-père ! J’ai une bonne relation avec mes enfants et j’ai été là pour eux tous les jours, mais quand je vois comment mon fils aîné (qui a choisi une autre carrière) est occupé avec sa famille, je remarque que j’ai manqué certaines choses… Même si j’avais la flexibilité nécessaire dans mon travail pour me permettre d’être présent à la sortie de l’école, j’ai davantage misé sur la qualité que sur la quantité de ces moments. Actuellement, j’ai toujours un travail très prenant mais je fais plus attention à rester en contact avec eux, surtout depuis qu’ils ont quitté la maison.

Constates-tu une grande différence entre les profils de ta génération et les nouvelles que tu vois arriver sur le marché ?

En entretien d’embauche, je constate que les rôles se sont inversés :

en tant qu’employeur, je dois être capable de mettre l’entreprise sous les projecteurs pour convaincre les candidats que nous sommes un bon employeur.

Ils sont conscients que les entreprises ont besoin d’eux. Contrairement à nous qui étions heureux par le simple fait d’être invité à un entretien. Je pense qu’il s’agit d’une évolution très positive et qu’il est important que les entreprises ne considèrent pas ce changement de mentalité comme un fardeau mais plutôt comme un défi.

A l’époque, nous suivions nos études aux frais de nos parents. Il suffisait d’étudier, de passer un examen et c’était fini. Mais nous savions qu’après avoir obtenu notre diplôme, nous devions trouver du travail et voler de nos propres ailes le plus rapidement possible. Le travail et les études étaient les choses les plus importantes dans nos vies, là où aujourd’hui les loisirs et « profiter de la vie » sont beaucoup plus importants. Si les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas satisfaits de quelque chose, ils sont beaucoup plus enclins à le dire. Ils sont beaucoup plus sûrs d’eux et savent très bien ce qu’ils veulent. Ils ont grandi avec la philosophie « the sky is the limit » et sont un peu plus matérialistes sans doute parce qu’ils ont pris l’habitude d’être plus gâtés par leurs parents 🙂

Si tu avais un conseil à donner aux jeunes qui débutent dans ce métier, quel serait-il ?

De bien réfléchir à ce qu’ils veulent et d’être conscient des possibilités qui existent. Il est important que les jeunes sachent que les entreprises tiennent à ce que leurs employés se sentent bien et puissent s’y développer. Je crois fermement au DPC (développement professionnel continu) de manière durable, dans le respect des personnes et de la planète. Mais ils doivent savoir qu’en contrepartie, ils doivent travailler dur et obtenir des résultats. L’entreprise ne peut continuer à exister que si elle est rentable. Ma devise est :

si l’entreprise se porte bien, ses employés se porteront bien aussi.

En guise de conclusion, quel est ton grand challenge professionnel et personnel ?

Je pense qu’il est important que je continue à grandir et à apprendre. Je veux tirer de la satisfaction dans ce que je fais et ne pas m’ennuyer.

D’un point du vue professionnel, j’apprécierais que mon équipe évolue en même temps que moi, car cela m’ouvre de nouvelles perspectives…

Interview réalisée par Archibald & C°
Merci à Claude Labeeuw & Brody

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