Peux-tu me décrire ta fonction et en quoi elle consiste ?
Je suis COO chez Eaglestone, un développeur européen (Belgique, Luxembourg, France) de projets résidentiels et de bureau. Je m’occupe de tout ce qui concerne le développement de projets en Belgique avec quelques interactions avec l’étranger afin d’assurer une cohérence au niveau des process. Mon rôle est d’assurer une amélioration continue de la société et de sa structuration.
Eaglestone a fortement grandi ces 5 dernières années, de manière assez organique. Mon rôle en arrivant dans la société a été de bien comprendre le fonctionnement en place pour ensuite y apporter une meilleure organisation dans le but de créer une marque de fabrique « Eaglestone » et de pouvoir assurer le même niveau de qualité de gestion de projets où qu’ils soient.
Quelles sont les formations que tu as suivies ?
Je suis ingénieur civil en construction et j’ai suivi une formation complémentaire en management. Celle-ci était composée d’un gros volet en finance, un peu de HR, de marketing, de stratégie et de commercial.
J’ai fait relativement peu de formation en people management.
Cette formation en management m’a été très utile pour comprendre les différents composants d’un business et la conduite globale d’une entreprise.
Elle me sert tous les jours.
En démarrant tes études d’ingénieur avais-tu déjà une vue précise de ce que tu voulais faire ?
J’avais effectivement une vue ultra précise de ce que je voulais faire et au final, ce n’est pas du tout ça que j’ai fait (sourire).
Je voulais être ingénieure chimiste pour travailler sur l’optimalisation des matériaux utilisés dans la conquête spatiale. Après un an, je me suis vite rendu compte que la chimie n’était en fait pas du tout mon truc. Après ma deuxième année, j’ai écarté ce qui ne me plaisait pas et j’ai finalement opté pour la construction. Un peu par élimination. In fine, ça m’a énormément plu.
Comment es-tu arrivée dans l’immobilier ?
Après avoir terminé mes études, je n’avais absolument aucune idée de ce qu’était le monde du travail. Je n’avais personne dans ma famille qui travaillait de près ou de loin dans le monde de l’immobilier ou de la construction. A cette époque je pensais qu’il n’existait que deux débouchés possibles à savoir travailler en bureau d’études ou travailler sur chantier. Durant mes études, nous sommes allés visiter la société ERGON (fabricant d’éléments structuraux en béton précontraint) et je me suis dit que c’était exactement ce que je voulais faire. Il y avait un côté calcul et un côté pratique qui me correspondaient bien. J’ai donc postulé et j’ai démarré mon parcours chez eux.
Au bout de 2 ans, j’ai commencé à trouver ce secteur trop niche et trop restrictif. J’avais envie de voir un peu plus large. Je suis alors passée en bureau d’études puis chez un entrepreneur. Huit ans plus tard, c’est tout à fait par hasard qu’un bureau de recrutement m’a contactée pour me signaler qu’Axa cherchait un Project Manager. Au départ, je n’avais aucune idée de ce qu’on pouvait faire dans une telle société. Je suis quand même allée voir, on m’a expliqué la fonction et cela m’a attirée. C’est comme ça que j’ai découvert l’immobilier !
J’ai également découvert le plaisir d’être du côté client. Ce qui est certain, c’est que je resterai toujours de ce côté (sourire) !
As-tu fait évoluer tes compétences au fil de ton parcours ?
Très clairement. Au début chez Axa, j’ai démarré comme Project Manager en m’appuyant principalement sur mon bagage technique. J’ai ensuite suivi une formation complémentaire en management et ma fonction a alors pu évoluer naturellement vers du management. Ce n’est qu’en 2014, lorsque j’ai rejoint Home Invest Belgium (HIB) comme CEO que je suis passée en management pur.
Au fil de ma carrière, j’ai toujours eu pour volonté d’élargir le scope de mes compétences.
D’où te vient cette curiosité ?
Je pense que mon compagnon y a joué un grand rôle. Nous avons tous les deux fait des études d’ingénieur, lui en chimie et moi en construction, et nous avons tous les deux eu des carrières qui n’étaient plus vraiment en rapport avec notre bagage académique initial. Lui a accédé plus rapidement à une fonction managériale et aujourd’hui on se retrouve dans des fonctions similaires mais dans des secteurs différents.
Quelles sont les valeurs qui t’accompagnent dans ton quotidien ?
Je suis assez perfectionniste et toujours en quête d’excellence.
Au niveau personnel, il y a l’honnêteté. J’attache également beaucoup d’importance à la convivialité ce qui pour moi entraine la bienveillance.
Quels sont les moments clés de ton parcours ?
Mon premier moment clé fut celui d’avoir été travailler pendant 3 ans à Paris. C’était vraiment un autre monde du travail. J’ai dû réapprendre à m’imposer. Ça m’a beaucoup renforcée.
Le deuxième grand moment fut mon arrivée chez Home Invest.
Le troisième fut mon départ de chez Home Invest (sourire).
L’opportunité de devenir CEO d’HIB a été juste extraordinaire et fut un boost incroyable dans ma carrière. Ensuite, le fait de me faire licencier d’HIB a également été un grand bouleversement pour moi.
Je ne porte pas cette conclusion comme un boulet mais il va de soi que pour moi cela reste un échec mais ce n’est pas grave. Ça a en tout cas clairement changé la personne que je suis aujourd’hui.
La grande leçon que j’ai tirée de cette expérience est que lorsqu’une relation ne fonctionne pas, il faut faire face, crever l’abcès et accepter parfois de renoncer à certaines choses. J’ai également dû recourir à une certaine dose de pragmatisme car lorsque on est arrêté comme ça dans son élan, tout ce que l’on souhaite c’est de pouvoir retrouver la même fonction pour reprendre ce que l’on avait entamé or cette place n’est évidemment plus forcément disponible. Il ne faut donc pas attendre le mouton à cinq pattes et j’ai découvert qu’il fallait preuve d’une certaine souplesse par rapport aux autres opportunités qui peuvent t’être présentées par la suite.
Dans ton parcours, as-tu fait des rencontres qui t’ont marquée ?
Lorsque que j’étais chez Axa, Serge Wibaut était à cette époque membre du comité de direction en Belgique. Par rapport à moi, il avait un poste beaucoup plus haut placé et pourtant il était toujours hyper accessible et hyper simple. Cela m’avait beaucoup marquée.
Je me suis rendu compte qu’il y avait moyen d’exercer une fonction élevée en ayant une autorité complète et parfaite tout en restant simple, accessible et en maintenant des relations humaines de qualité avec ses collaborateurs.
Ce n’est que plus tard que je me suis rendu compte que la réalité est en partie autre ; qu’on le veuille ou non, lorsqu’on est le « patron », la relation avec les collègues n’est plus tout à fait la même. Ceci étant, je pense être une manager qui se veut « simple » et je ne suis clairement pas quelqu’un d’autoritaire. Je crois par contre beaucoup à l’exemplarité : lorsqu’on fait ce qu’on préconise, il y a une forme de respect qui s’installe.
En tant que femme, dans un secteur tel que l’immobilier, trouves-tu que ce soit plus compliqué ou plus aisé d’y faire sa place ?
On dit souvent que l’immobilier est très masculin mais je pense en fait que quel que soit le secteur, lorsqu’on arrive à un certain niveau dans la hiérarchie, ça devient très masculin. Je pense que l’immobilier évolue au même rythme que les autres secteurs quant à la place des femmes dans le travail.
Être une femme m’a malgré tout clairement servi lorsque j’étais du côté de la construction car je jouais sur un autre registre que mes collègues hommes. Ensuite, lorsque je suis passé en immobilier, il s’avère qu’il n’y avait pas encore beaucoup de femmes. Du coup, beaucoup de monde connaissait mon nom et me reconnaissait, c’était très agréable (sourire).
J’ai donc l’impression que ça m’a plutôt servie.
Le fait d’être une femme, est-ce que cela joue sur ta manière d’assurer ton rôle et ta fonction ?
Absolument. Que ce soit dans mon style de management ou mon style de négociation cela intervient totalement. Au-delà de ma propre personne, je pense que le simple fait d’être différente des hommes joue naturellement sur les rapports humains.
Pour le reste, étant également mère de deux enfants, j’ai tendance à être assez flexible et tolérante vis-à-vis de mes collègues (homme ou femme) qui comme moi essaient de trouver un équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie de famille.
As-tu dû prendre des risques ou faire des sacrifices pour en arriver là ?
Accepter un nouveau job comme celui de CEO chez HIB est clairement un risque car je sortais totalement de ma zone de confort.
En termes de sacrifices, mon mari et moi avons toujours travaillé full time. Nous avons donc toujours dû jongler entre la famille, les enfants et le travail. Il a fallu sacrifier une partie de notre vie sociale car il n’y avait tout simplement plus de place.
As-tu constaté une grande évolution du métier de promoteur au fil de ton parcours ?
Oui et heureusement.
Les promoteurs se sont vraiment professionnalisés à tous niveaux.
En termes d’analyse de risques, de qualité des produits, de maitrise des process, beaucoup se sont considérablement améliorés jusqu’à devenir pour certaines des sociétés internationales.
Je trouve par contre que la construction a moins évolué.
Que ce soit en termes de maitrise de la qualité, de maitrise du gaspillage ou de durabilité. C’est une industrie qui n’a pas encore complètement réussi le virage du 21ème siècle. C’est invraisemblable d’avoir un tel secteur, pourtant qualifié d’essentiel, se situer si souvent sous le seuil de rentabilité et dysfonctionner régulièrement malgré les têtes brillantes qu’on y retrouve.
Les promoteurs ont également fortement fait évoluer leur image, leur discours et leurs valeurs que ce soit pour attirer des talents ou tout simplement pour se différencier.
Il ne faut pas oublier que les promoteurs ont quand même globalement mauvaise presse. Ça s’améliore mais la réputation de « cowboy » est malheureusement tenace.
Celle-ci est entretenue par le fait que lorsqu’on développe des appartements, on se retrouve face à des personnes qui bien souvent font l’acquisition de leur vie. Nous sommes donc dans du B2C alors que nous ne sommes pas du tout habitués à cela. Le tout avec un produit dont la fiabilité et la qualité ne sont pas totalement à la hauteur de ce qu’on voudrait. Cela crée donc inévitablement des tensions.
De quoi es-tu la plus fière dans ton parcours ?
Premièrement, je suis très fière d’avoir su faire tout ça par moi-même, sans aucun piston, sans appui d’aucune sorte. J’ai pu grandir et gravir les échelons des différentes entreprises. Il y a donc aussi un effet d’ascenseur social dont je suis extrêmement fière, le tout en conservant mes valeurs, je l’espère (sourire), et en préservant ma vie familiale.
Qu’est-ce qui te passionne le plus dans ton métier ?
Le côté réalisation concrète et que c’est un métier qui fonctionne par projet. Cela signifie que la vie d’une société de promotion est rythmée par différentes phases qui demandent chacune un type d’attention souvent différent. C’est donc assez varié et très exaltant.
L’autre aspect très satisfaisant est de voir un projet se clôturer pour ensuite pouvoir le célébrer et passer à autre chose.
Ce qui est également très agréable est qu’il s’agit d’un secteur auquel tout le monde, de manière directe ou indirecte, s’intéresse un peu. Tout le monde habite ou travaille quelque part. Je peux parler de ce que je fais à un enfant de 8 ans, une personne retraitée ou un chef d’entreprise, tous, ont une relation avec mon métier.
Ce qui par contre me pèse le plus aujourd’hui reste le maillon faible au niveau de la qualité de la construction.
Constates-tu une grande différence entre les profils de ta génération et les nouvelles que tu vois arriver sur le marché ?
Je pense qu’un jeune ingénieur qui sort aujourd’hui de l’université aura eu une formation plus large que celle que j’ai pu avoir. La mienne était exclusivement technique et je ne savais même pas, par exemple, ce qu’était l’actif ou le passif d’un bilan. Les jeunes que je rencontre ont manifestement pu voir d’autres choses et heureusement !
On dit souvent qu’ils sont aujourd’hui moins travailleurs et moins carriéristes que ne l’était ma génération.
Je ne sais pas si c’est vrai. Par contre, je constate qu’ils travaillent différemment. Il s’agit d’une génération ultra connectée qui travaille de manière très impliquée sans aucune frontière entre le privé et le professionnel, là où pour nous, il y avait une vraie déconnection une fois qu’on quittait le bureau.
Quel conseil donnerais-tu à un(e) ingénieur(e) qui ambitionne de devenir COO ?
De ne pas aller trop vite car un rôle de COO est exigeant. Tous les spots sont braqués sur cette personne et c’est une fonction où on est finalement assez seul.
Je pense que c’est important de bien construire ses différentes expériences en vue de se préparer pour ce poste qui se veut être très large.
En guise de conclusion, quel est actuellement ton grand challenge personnel ?
Mon grand challenge est de réinscrire une réussite à mon palmarès. Après HIB qui s’est terminé sur un échec, c’est important pour moi de me dire que ma prochaine expérience sera une vraie réussite.
L’autre challenge est également d’arriver, à bientôt 50 ans, à encore progresser et apprendre. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai accepté la proposition d’Eaglestone. N’ayant pas du tout l’âme d’un entrepreneur, j’étais très attirée par l’idée de côtoyer de très près 2 entrepreneurs dans une société qui a un vrai track record de réussite et qui a de grandes ambitions. Etant de nature structurée et rigoureuse, je dois apprendre à évoluer dans une société qui avance très vite.
Je suis donc super challengée par cela.
Entretien mené par Archibald
Remerciements à Sophie Lambrighs & Eaglestone