J’ai appris sur le tas, en faisant plein d’erreur et en rectifiant le tir tout simplement 🙂
Se lancer dans la reprise de parts est un risque mais maîtrisé. Je me suis posé la question de savoir si j’étais à la bonne place et je me suis dit que je pouvais y arriver. Je croyais dans ce projet qui avait du sens.
Dans le métier en revanche, je prends beaucoup plus de risques pour parvenir à décrocher des dossiers. Quand je me lance dans un dossier de concours et que j’essaie de trouver une vision parallèle à la demande de mon client (dans le but d’essayer de l’éveiller à autre chose), je prends un risque. Je fais travailler mon équipe sur une autre vision donc il faut que ça marche. Si je me plante, c’est ma responsabilité.
En ce qui concerne les sacrifices. Être associé demande énormément d’investissement personnel et professionnel. C’est vrai que je ne rentre jamais à 16h à la maison. J’ai la chance d’avoir construit avec ma compagne une structure familiale stable et heureuse. Nous avons trouvé un équilibre à la maison, j’essaye d’y faire attention. Il y a certes des périodes de stress très intenses avec des tensions et des enjeux financiers importants. Mais voir la satisfaction de mon équipe et de mes clients rendent ces moments très stimulants.
J’essaie de motiver les gens par l’amusement et le plaisir. Le jour où je ne rigole plus et ne m’amuse plus, j’arrête. Les gens doivent s’amuser dans ce qu’ils font !
Je fais beaucoup confiance aux gens et délègue un maximum de choses tout en essayant de donner les bonnes infos au bon moment, en faisant juste la petite réflexion qui va faire évoluer le projet… Je fais confiance, dans le rire. Je ne suis pas dans le contrôle.
Quelles sont les valeurs qui te drivent dans ton quotidien ?
Les trois valeurs principales sont pour moi la cocréation, la coresponsabilité et l’épanouissement. Ce sont des valeurs qui me tiennent à cœur parce qu’elles touchent à l’humain, à l’équipe, au fonctionnement du groupe et qu’elles sont essentielles pour le développement de la société.
Qu’est-ce qui te passionne le plus dans ton métier ?
L’architecture est un métier fantastique car elle offre l’opportunité d’avoir des journées très variées et de rencontrer des centaines de personnes sur une semaine : on va sur chantier le matin, on rencontre des équipes multidisciplinaires, on est en réunion l’après-midi avec des directions, des clients de petites PME, des administrations publiques, des grands groupes… On rentre dans leur vie, on leur fait découvrir ce que pourrait devenir leur vie dans leur bâtiment… C’est l’éclate !
De quoi es-tu le plus fier dans ton parcours ?
Ce qui me rend fier c’est d’être parvenu à remobiliser, construire et stabiliser une équipe qui est passée de 10 à 25 personnes. C’est une équipe qui est vraiment complète et que l’on connaît bien. Avoir le sentiment que les gens se sentent bien, qu’ils sont impliqués et que tout ce que l’on fait – avec Mathieu et Quentin – a du sens, me rendent fier.
Qu’est-ce qui te déplait le plus dans le métier ?
Le temps que l’on a pour faire les choses. C’est la rapidité avec laquelle il faut travailler, l’urgence permanente. C’est très dur à gérer parce qu’un projet d’architecture ça murit avec le temps, ça se retravaille et c’est une notion difficile à faire comprendre aux clients. En général, quand ils nous appellent, il est déjà presque trop tard pour la livraison de leur bâtiment. Et ça c’est dur.
Comment vois-tu l’évolution de ton métier et du secteur ?
On voit énormément de spécialités émerger et graviter autour du secteur de l’architecture et de la construction. Des nouveaux métiers / experts / spécialistes qui se développent tout le temps, qui mangent un peu notre métier et avec lesquels nous devons composer. On a la chance en Belgique d’être protégé par une loi qui nous attribue la place centrale du projet. Notre difficulté actuelle est de parvenir à garder cette place. Nous devons sans cesse rappeler à tous ces acteurs (PEB, BIM, coordinateur, ingénieur, etc.) que l’architecture et le bien-être des utilisateurs finaux se trouvent au-dessus de leurs propres spécificités.
Ensuite, il y a la notion de temps qui a drastiquement raccourci. A l’époque, on avait classiquement une année pour déposer un permis. Aujourd’hui, si on a 6 mois, on est heureux. On a énormément de clients qui viennent de l’étranger et qui importent leur manière de faire et de travailler. On doit y apposer une certaine résistance pour garder notre métier essentiel et garder notre place. Mais ce n’est pas évident. Toute la difficulté est de pouvoir dire « non ». Sans mentir ou vendre du rêve, on se plie généralement en 4 pour répondre à la demande. Mais aller trop vite nous pousse à prendre des raccourcis. Si la qualité n’est pas au rendez-vous, on nous reproche de ne pas avoir prévu ceci ou cela. Alors que nous avons juste manqué de temps… Mais c’est trop tard, quand c’est sorti, il faut assumer.
Un dernier point serait de travailler autour de la considération que les gens ont du métier d’architecte…
Justement, selon toi, comment se fait-il que les gens aient si peu de considération pour le métier d’architecte ? Comment se fait-il que leurs conditions de travail soient si peu valorisées malgré toutes les responsabilités qu’il endosse ?
Je pense que c’est la faute des architectes en premier lieu. Nous devons en prendre conscience et commencer par nous respecter nous-même.
Certains stagiaires commencent à 12€/h. C’est scandaleux et insuffisant par rapport à leurs nombreuses responsabilités, aux nombres d’années d’études qu’ils ont faits et à l’engagement qu’ils mettent dans leurs projets. Dans l’esprit des gens qui gravitent autour de nous, on ne peut pas être considéré à notre juste valeur si nous-même n’avons pas un minimum de reconnaissance pour ces jeunes qui se lancent dans le métier : ils sont très peu payés, corvéables à merci et ensuite, ils restent dans cette logique d’architecte corvéable. Je pense qu’il faut commencer par reconnaître nous-même la valeur de notre métier et celle des jeunes qui commencent.
Penses-tu que les architectes sont façonnés par leur formation ?
Quand je regarde le rythme de travail qu’on nous imposait à l’époque, je pense que quelque part oui. On nous a inculqué l’idée que nous devions bosser nuit et jour sur nos projets. J’ai adoré mes études mais on a bossé comme des dingues. On était corvéable. On ne nous a jamais dit qu’il fallait nous faire reconnaitre, qu’on était important. On ne nous a pas drillé à ça.
Les architectes sont des artistes. On a envie que notre projet soit bien. On ne s’arrête pas en cours de route en disant « je ne suis plus payé, je ne travaille plus ». Non. On veut aller jusqu’au bout et on fait tout pour être fier de ce qui sort parce qu’on a une image en tête et qu’on veut l’obtenir.
Ce n’est pas comme les ingénieurs qui sont plus cartésiens et mieux organisés que nous. Ils se font respecter et tout le monde sait qu’on ne fait pas recommencer un ingénieur sans frais supplémentaire. Alors qu’un architecte, lui, on peut le faire recommencer tant qu’on veut. Ce n’est jamais que bouger une ligne… Mais c’est notre faute. On se laisse trop faire parce qu’on est convaincu du résultat et que l’on veut prouver qu’on avait vu juste.
Si tu avais un conseil à donner aux jeunes qui débutent dans ce métier, quel serait-il ?
De bien choisir l’atelier dans lequel ils vont. Il faut choisir un bureau dans lequel on va les encadrer et leur permettre de se développer et de progresser. Comme l’ABR que j’ai rencontré il y a 15 ans. La confiance qu’ils m’ont donnée, l’encadrement qu’ils m’ont apporté m’ont permis de grandir comme architecte. C’est essentiel. Un grand nom de l’architecture c’est beau sur un cv mais si on ne vous demande que de gratter du papier au fond d’un atelier toute la journée, cela ne sera qu’un nom sur un cv…
Je leur conseillerais également d’oser remettre les choses en question avec respect : le métier, les activités, les procédures au sein du bureau… Ne pas avoir peur de bousculer un peu les clients, les associés, les collègues… Pour les faire progresser.
S’ils veulent développer leur propre bureau un jour, il faudra avoir des idées, être fort de propositions, savoir écouter et être moteur dans leurs décisions et leurs réflexions. Cela demandera beaucoup d’investissement en temps et en énergie.
Quel est le grand challenge actuel d’ABR ?
ABR est en permanence en évolution et en mutation. Cela fait des années qu’on parle de développement durable mais nous n’y sommes réellement qu’aujourd’hui : les gens changent leur manière de manger, d’acheter, de se déplacer… Il faut qu’ABR soit dans cette dynamique là aussi. Nous souhaitons être reconnus comme moteur de ce changement. On n’y est pas encore. Le plus grand challenge d’ABR est donc de transformer l’atelier dans cette vision. Notre responsabilité est d’apporter cette dimension supplémentaire au bureau et d’emmener notre équipe dans cette direction. Cela va au-delà que de simplement prendre du plaisir à travailler ensemble.