Nicolas, peux-tu me décrire ta fonction actuelle et le secteur d’activité de ton entreprise ?
Je suis le CEO de Wereldhave Belgium, une société immobilière réglementée spécialisée dans l’immobilier commercial. Wereldhave Belgium est cotée à la Bourse de Bruxelles : notre portefeuille représente environ 930 millions d’euros investis, dont 90 % dans l’immobilier commercial. Nous avons cinq grands centres commerciaux en Belgique, mais depuis quatre ans, nous élargissons le scope d’investissement aux retails parks.
Quelle est la différence entre un retail park et un centre commercial ?
Un centre commercial est un mall fermé. Les clients viennent s’y détendre et flâner. Ils se garent dans un parking extérieur, entrent dans un endroit clos et ont à leur disposition un large mix de magasins.
Un retail park est un ensemble de magasins sur un même site en plein air. Ces magasins sont souvent dédiés à la décoration, au bricolage et au sport. Ce type de commerce nécessite de vastes surfaces, c’est pourquoi ils s’organisent autour d’un grand parking. Le client se gare le plus près possible du magasin, fait ses achats et repart. La formule a fait ses preuves pendant le Covid, étant donné que le shopping se devait d’être plus rapide et efficace.
Quelles sont les particularités de ta fonction en comparaison avec le même type de responsabilité dans une autre entreprise ?
L’actionnaire majoritaire de Wereldhave Belgium fait le même métier que nous, mais aux Pays-Bas et en France. Bien sûr, chacun des deux pays avance selon des vitesses différentes et en tenant compte de ses propres spécificités, mais nous développons notre stratégie ensemble. Ma responsabilité consiste ensuite à instaurer les adaptations nécessaires au marché belge.
Quelle est ta formation ?
J’ai étudié à l’ISC Saint-Louis qui a fusionné avec l’ICHEC par la suite. Aujourd’hui, seul le nom de l’ICHEC est resté, ils nous l’ont pris [rires] ! L’ISC proposait une formation en alternance, avec une expérience en entreprise, c’est cela qui m’avait attiré.
Je ne peux pas dire que je savais exactement ce que je voulais devenir en commençant mon cursus, mais
j’ai toujours été passionné par l’immobilier et le commerce.
À l’époque, je m’intéressais plutôt à l’immobilier résidentiel et encore aujourd’hui, je consulte Immoweb presque quotidiennement. Quant au commerce, cette fibre me vient probablement de ma famille : il y a très longtemps, elle avait développé la chaîne de magasins Grand Bazar.
Pourtant, après tes études, tu es parti à Londres où tu as fait du recrutement.
C’est exact. Je dois avouer que j’étais assez mauvais en langues. Après mes études, pour améliorer mon néerlandais, je suis parti vivre pendant trois mois dans une famille néerlandophone à Anvers. Ça n’a pas suffit du tout [rires], mais j’ai tout de même progressé. En anglais, je n’étais pas meilleur ! Heureusement, ma copine avait décroché un poste à Londres, et je l’ai accompagnée. Étant donné que mes parents ne pouvaient pas financer mon séjour, j’ai dû trouver rapidement du travail. Une société de recrutement cherchait quelqu’un pour couvrir le marché du Belux. Dans ce contexte, être francophone constituait une force. Le fait de fréquenter toute la journée des collègues anglophones m’a permis de bien progresser. Être un jeune travailleur à Londres est une magnifique expérience. Avec ma petite copine, qui est devenue ma femme plus tard, nous nous sommes beaucoup amusés. Cependant, au bout de deux années, je sentais que j’avais fait le tour de l’entreprise qui m’employait, et je suis rentré en Belgique.
C’est à ce moment qu’a commencé ton parcours dans l’immobilier ?
Oui. J’ai postulé dans quelques entreprises recommandées par des amis qui travaillaient dans le secteur de l’immobilier de bureau. Lors de mon entretien chez Cushman & Wakefield, la discussion s’est rapidement centrée sur l’immobilier commercial, ce qui m’a fort surpris, car je n’y connaissais rien ! Contre toute attente, j’ai été engagé comme account manager pour m’occuper de la commercialisation d’espaces disponibles.
J’imagine qu’ils ont été séduits par ma fibre commerciale, ainsi que par le réel intérêt que je manifestais pour l’immobilier.
Combien de temps es-tu resté dans cette entreprise et en quoi consistait ton travail ?
Je suis resté onze ans chez Cushman & Wakefield. Je m’occupais des propriétaires cherchant un locataire ainsi que des enseignes en quête de l’endroit idéal où s’établir. Mais ma fonction restait très commerciale, il me manquait une dynamique de réflexion.
Et voilà qu’en 2008, j’ai eu l’occasion de travailler sur deux projets de centres commerciaux : Médiacité à Liège et le projet Anspach à Bruxelles (à l’endroit même où se situait le Grand Bazar de ma famille à l’époque !). La personne qui s’en occupait était un peu débordée et on m’a demandé de l’aider. Bref, c’est ainsi que j’ai commencé à m’occuper de la structuration et de la qualité du mix commercial de centres commerciaux. C’était passionnant, j’avais trouvé la dimension réflexive qui me manquait. L’objectif n’était plus uniquement de louer le mieux possible, mais de créer un mix cohérent.
Plus tard, j’ai pris la responsabilité de l’équipe et j’ai travaillé sur de nombreux projets de centres commerciaux, notamment Rive Gauche à Charleroi. J’ai vécu des soirées très intéressantes avec les architectes. Nous dessinions réellement le centre commercial ensemble : changer les accès, la direction des escalators, etc. J’ai toujours adoré prendre un papier et un crayon et réinventer un projet !
Malgré tout, en 2016, nouveau tournant !
Effectivement ! J’avais appris que Kasper Deforche, mon prédécesseur chez Wereldhave Belgium, allait être nommé CEO. Nous avions collaboré dans le passé, je lui ai écrit pour le féliciter et il m’a invité à déjeuner. Au cours de la discussion, il m’a confié qu’il était à la recherche d’un nouveau directeur commercial. De mon côté, après onze ans chez Cushman, je ressentais l’envie de voir autre chose. Passer du côté investisseur allait me permettre de ne plus uniquement conseiller les investisseurs dans leurs choix mais bien d’insuffler ma propre vision dans la gestion d’un portefeuille immobilier auprès d’un grand investisseur. Le timing était parfait et j’ai sauté le pas.
Tu n’as pas commencé immédiatement en tant que CEO ?
Non. Je suis arrivé en 2016 en tant que directeur commercial et investissements, et je faisais également partie de l’équipe de direction. J’étais heureux d’apporter mon expertise du secteur du retail et de plus, ce poste me donnait l’opportunité de participer à la gestion quotidienne d’une société cotée en bourse.
Fin 2020, Kasper a quitté la société et le CA m’a proposé de reprendre sa fonction, conjointement avec l’une de mes collègues du management team, Ine Beeterens en tant que COO.
Comment se sont déroulés les premiers mois ?
Je me considère plutôt comme « l’homme du produit ». Or, gérer une société cotée en bourse implique des aspects financiers importants (je n’ai jamais caché qu’il s’agissait de mon point faible), mais je pouvais compter sur un très bon CFO. Malheureusement, cinq mois après mon arrivée, il a quitté l’entreprise et il a fallu prendre le temps de le remplacer. De plus, le contexte était encore affecté par le Covid.
Comment avez-vous géré les relations avec vos locataires pendant le Covid ?
Le confinement a été un choc énorme pour tout le monde. Nous avons reçu des centaines de courriers et de coups de fil paniqués. Nous aurions pu partir au combat contre les locataires qui ne pouvaient plus payer leur loyer, mais s’ils faisaient tous faillite, notre activité en aurait été affectée à plus long terme. Nous devions faire un choix.
Au-delà de l’aspect purement commercial, je reste convaincu que lorsque l’on fait du business et que l’on veut avoir une vision à long terme, il est également important de déterminer ce qui est juste.
Personne n’était responsable de ce qui arrivait et nous devions partager les pertes. Nous avons accepté des diminutions conséquentes de loyer et nous avons pu sauver de nombreux locataires. Sacrifier les revenus à court terme a permis de sauvegarder le taux d’occupation à long terme. Depuis 2021, nous commençons à récolter les fruits de cette politique.
À quoi dois-tu d’avoir évolué à ce point dans ton parcours ?
D’abord, à ma volonté d’apprendre.
Nous devons avoir l’honnêteté de reconnaître que nous sommes en permanence dans un processus d’apprentissage,
ce qui m’amène à la notion d’humilité. Lorsqu’on m’a proposé de devenir CEO, je n’ai pas hésité à évoquer mes points faibles. Enfin, il y a ma capacité de collaboration. J’aime prendre les décisions de façon collégiale et je suis convaincu que l’échange et le débat d’idées nous font avancer et grandir. C’est d’autant plus vrai pour une société dont l’actionnaire majoritaire mène la même activité que nous : la collaboration est cruciale.
T’es-tu senti suffisamment armé pour assumer toutes ces nouvelles responsabilités ?
J’aime apprendre sur le terrain, je n’ai pas suivi de formation complémentaire ni de coaching. Peut-être que je le devrais ! Passer de sa zone de confort à une fonction qui exige une vision sur l’ensemble des départements de la société, ce n’est pas évident. Il faut dès lors avoir l’humilité de demander conseil et de faire confiance à son entourage.
As-tu mis des choses en place conformément à tes valeurs de transparence au sein de Wereldhave Belgium ?
Comme je le disais, ma nomination et celle de Ine ont provoqué un effet domino de promotions ainsi que quelques départs… Je sentais qu’il n’y avait plus la même cohésion au sein de l’équipe de management. Récemment, nous avons emmené une quinzaine de personnes clés à Paris pour travailler les thèmes de la collaboration et de l’alignement. Au-delà du travail, l’objectif était également de prendre du bon temps. C’est indiscutable : danser et boire un verre ensemble renforcent les liens et créent de la cohésion. En résumé, j’essaie de mettre l’humain au centre de l’entreprise, car l’humain est sa plus grande force.
Quels sont les moments clés de ton parcours ?
Pas évident de répondre… Il y a d’abord eu le décès de mon père, quand j’avais 17 ans. Un choc. J’étais très proche de lui. J’ai dû me responsabiliser davantage.
Mon séjour à Londres a également été déterminant, j’y ai acquis une grande ouverture d’esprit.
Enfin, j’ai eu la chance de travailler chez Cushman, où j’ai acquis tant de connaissances. Sans oublier la chance que Kasper m’a donnée de venir le rejoindre ici, et celle que j’ai reçue du conseil d’administration lorsqu’il m’a proposé de devenir CEO.
Selon toi, est-ce à la chance ou à ton tempérament que tu dois ta réussite ?
Si les gens s’investissent dans une société comme si elle était la leur, les choses arrivent naturellement. J’ai toujours fonctionné de cette manière. N’oublions pas non plus le rôle d’un bon management : il voit la différence entre ceux qui réalisent du chiffre seuls et ceux qui atteignent de bons résultats en travaillant avec les autres. Si j’ai souvent été promu rapidement, c’est parce que j’ai montré ma capacité à réaliser de très bons chiffres tout en collaborant, sans écraser mes collègues.
Quelles ont été les personnes les plus importantes dans ton parcours ?
Ma femme a joué un rôle important. Elle est ambitieuse et me pousse à sortir de ma zone de confort.
Je citerai aussi Boris van Haare Heijmeijer, qui était partenaire chez Cushman. Une référence en Europe pour l’immobilier commercial ! Il m’a tout appris sur le monde du retail.
Je pense également à Kasper. C’est un excellent CEO guidé par des valeurs humaines qui sont très fortes. Il m’a énormément inspiré.
Qu’est-ce qui est le plus difficile pour toi dans ton activité ?
Je trouve parfois compliqué de prendre des décisions sans avoir la certitude qu’elles seront les meilleures.
Dans ces cas, j’ai besoin de temps pour réfléchir, surtout si la décision a un impact sur des gens. Ma personnalité est telle qu’il me faut parfois un petit coup de pouce pour prendre une grande décision. Lorsqu’elle est prise, je fonce, mais avant, je réfléchis souvent par deux fois.
As-tu été amené à consentir certains sacrifices pour en arriver là où tu en es ?
J’ai quatre enfants âgés de deux à treize ans. Le soir, je rentre tard, fatigué, et je n’ai pas forcément envie de me lancer dans un jeu de société avec eux… Oui, parfois, c’est un sacrifice. Mon épouse travaille à temps plein elle aussi, et ce n’est pas toujours évident de trouver le juste équilibre familial.
Quelle est ta vision pour l’avenir de ton secteur ?
Le commerce online prend de l’ampleur depuis plusieurs années. Avant la pandémie, nous avions déjà déterminé une stratégie et nos choix ont été confortés par le Covid.
Aujourd’hui, nous disposons de sites monofonctionnels et notre expérience nous indique qu’ils doivent devenir multifonctionnels. Les clients recherchent une offre plus diversifiée sur un même site : nous devons comprendre leurs besoins et faire évoluer le mix commercial en conséquence.
Par ailleurs, les clients attendent une offre de services plus large. A titre d’exemple et afin de profiter également de la croissance des commandes online, nous avons lancé un concept leur permettant de récupérer leur colis dans nos centres commerciaux. Nous avons même prévu une cabine dans laquelle ils peuvent essayer le vêtement livré et le renvoyer directement s’il ne convient pas. C’est un concept qui offre une vingtaine de services au total et qui cartonne!
Enfin, nous pensons que nos sites ne doivent pas proposer que du commerce. Nous développons particulièrement l’Horeca et à terme, nous proposerons aussi du bureau, du loisir et du sport.
Quel est ton prochain challenge ?
Ma prise de fonction est assez récente et j’ai encore de belles années à vivre chez Wereldhave Belgium ! Mon premier challenge est de faire grandir la société. Mais dans un avenir plus lointain, je ne serais pas étonné d’évoluer dans un secteur différent, pour voir autre chose, sortir de ma zone de confort, et trouver un nouvel équilibre de vie.
Merci, Nicolas.
Interview réalisée par Archibald & C°
Merci à Nicolas Beaussillon & Wereldhave Belgium